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  • Jun122020

    Victoire pour le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique

    Texte de la décision de la Cour suprême
    Communiqué du CSF
    Communiqué de l’AFO
    Communiqué de la FNCSF

    Le Conseil scolaire francophone (CSF) de la Colombie-Britannique a eu largement gain de cause dans son appel devant la Cour suprême du Canada.

    Dans son jugement publié aujourd’hui, la Cour conclut que les juridictions inférieures ont adopté une interprétation démesurément restrictive de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article a un objet réparateur, qui vise à favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques officielles et à modifier le statu quo. En donnant à cette disposition une interprétation tenant compte de cet objet réparateur et en s’appuyant sur les conclusions de faits tirées par la juge de première instance, la Cour accueille en grande partie l’appel du conseil scolaire.

    Dans l’arrêt Mahé, la Cour avait expliqué qu’il fallait situer un nombre d’élèves donné sur une échelle variable pour déterminer le niveau de service auquel a droit la minorité et pour décider si celle-ci a droit à une école homogène. L’analyse requise à cette fin devait porter sur (1) les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves visés; et (2) le coût des services envisagés. Cependant, comme la Cour n’avait pas défini ces deux facteurs dans l’arrêt Mahé, elle précise maintenant la marche à suivre pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable.

    Besoins pédagogiques

    L’analyse de ce facteur consiste à se demander si, compte tenu du nombre d’élèves concernés, le niveau de services proposé par la minorité permet de répondre à toutes les exigences du programme d’études. La démarche pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable s’appuie sur la prémisse selon laquelle une école homogène est justifiée lorsqu’un nombre comparable d’élèves de la majorité dispose d’une telle école. Elle compte trois étapes :

    • Il faut d’abord déterminer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé, en s’appuyant sur des projections à long terme. Le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs de la minorité.
    • Il faut ensuite déterminer si le nombre d’élèves concernés de la minorité est comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité. Les demandeurs de la minorité ont le fardeau d’identifier des écoles de comparaison. Il faut faire preuve de souplesse dans l’appréciation de ce qui constitue un nombre comparable (comparable ne signifie pas identique).
      • Si le tribunal constate que le nombre d’élèves de la minorité est comparable, localement, à celui des élèves de la majorité, la minorité a droit à une école homogène.
      • Dans les autres cas, l’exercice comparatif doit se réaliser sur une base provinciale pour assurer un traitement équitable partout dans la province. La présence d’écoles de la majorité qui desservent un nombre donné d’élèves, peu importe leur emplacement dans la province, permet de présumer que la province considère que leur maintien est approprié du point de vue de la pédagogie et des coûts et, donc, qu’il convient de créer une école homogène de taille comparable pour la minorité.
    • La troisième étape consiste à déterminer le niveau de services qui doit être offert à la minorité. Si, à la deuxième étape, la comparaison à l’échelle provinciale ne révèle pas de nombre comparable, le nombre d’élèves de la minorité se situe en deçà de la limite supérieure de l’échelle variable. La minorité peut alors bénéficier d’une gamme de services allant de quelques heures de cours dans sa langue jusqu’à l’utilisation et au contrôle de locaux dans une école partagée avec la majorité. Dans ces situations, le tribunal doit faire preuve de déférence envers le niveau de services proposé par le conseil scolaire de la minorité pour déterminer si ce niveau de services est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts.

    La Cour a appliqué cette démarche aux demandes formulées par les représentants de la minorité linguistique en vue d’obtenir de nouvelles écoles ou l’agrandissement d’écoles existantes. Elle conclut que les francophones ont le droit de bénéficier de huit écoles homogènes qui leur ont été refusées par les juridictions inférieures (Abbotsford, vallée centrale du Fraser, Burnaby, Vancouver Nord-Est, Victoria Est et Victoria Ouest).

    Pour trois autres communautés (Victoria Nord, Whistler et Chilliwack), la juge de première instance a effectué une comparaison locale alors que la comparaison devait se faire à l’échelle de la province. Il faut donc comparer le nombre d’élèves de la minorité (qui va de 60 à 98 élèves) à celui des élèves fréquentant les écoles de petite taille de la majorité situées partout en province qui ont été retenues par la juge de première instance (qui varie entre 66 et 73 élèves). Comme ces nombres sont comparables, ces communautés ont donc le droit d’obtenir des écoles homogènes. En ce qui a trait à Pemberton, le nombre d’élèves concerné s y est difficilement comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité; comme la preuve disponible est limitée et que des observations supplémentaires pourraient être nécessaires, la Cour renvoie donc au tribunal de première instance la question du niveau de services auquel donne droit ce nombre d’élèves.

    Qualité de l’expérience éducative

    Le critère utilisé pour évaluer ce facteur ne varie pas selon le nombre d’élèves de la minorité. Ainsi, les enfants des titulaires de droits doivent bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité, peu importe la taille de l’école en question. Or, l’approche adoptée par les juridictions inférieures lorsque le nombre d’élèves de la minorité n’était pas comparable à celui de la majorité doit être écartée, car elle se fondait sur un critère dit de proportionnalité plutôt que sur celui de l’équivalence réelle. La Cour modifie donc les conclusions de la juge de première instance pour indiquer que l’ensemble des ayants droit dont les enfants fréquentent les écoles du CSF ont droit à une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles de la majorité.

    Pour les écoles du CSF situées dans les communautés de Nelson, de Chilliwack et de Mission, la qualité de l’expérience éducative doit être évaluée du point de vue du parent raisonnable, conscient des particularités inhérentes d’une petite école. Pour l’école de Nelson, la Cour souscrit à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle l’expérience éducative des élèves de la minorité est équivalente à celle offerte aux élèves de la majorité. Pour l’école de Chilliwack, la l’expérience éducative qui y est offerte est d’une qualité véritablement inférieure à celle des écoles de la majorité. Pour l’école du CSF à Mission, la situation est préoccupante, mais la preuve soumise est insuffisante; la Cour renvoie donc au tribunal de première instance la question de la qualité de l’expérience éducative.

    Par ailleurs, l’exigence de la province qui oblige le CSF à prioriser les projets d’immobilisations qu’il soumet même lorsque ceux-ci sont une solution à des violations de l’article 23 de la Charte ne porte pas atteinte au droit de gestion garanti par cet article. Pour ce qui est du délai dont dispose la province pour réparer les violations de l’article 23, chaque réparation est un cas d’espèce, mais la réparation doit néanmoins être apportée dans un délai utile.

    Arguments financiers rejetés

    Lorsque l’argument invoqué par un gouvernement pour justifier une violation de l’article 23 est d’ordre financier, l’analyse fondée sur l’article premier de la Charte fait double emploi avec l’analyse de la justification par le nombre qui a déjà été réalisée. Pour qu’une violation puisse être justifiée au regard de l’article premier, la justification ne doit donc pas s’appuyer sur des considérations qui ont déjà été prises en compte à l’étape de la justification par le nombre.

    Les juridictions inférieures ont commis une erreur en statuant que l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constituait un objectif urgent et réel permettant de justifier des violations de l’article 23. L’affectation de fonds public limités constitue le travail quotidien d’un gouvernement; il s’agit de répondre à des besoins qui, eux, sont tout sauf limités. Il n’y a donc pas ici d’objectif urgent et réel qui permet de justifier une violation des droits et libertés; la province ne peut donc pas justifier les violations de l’article 23 en invoquant l’article premier de la Charte. Par conséquent, le CSF a droit à 1,1 million de dollars dont il a été privé parce qu’il n’a pas eu accès au facteur rural de la subvention annuelle aux installations, car cette violation de l’article 23 n’est pas justifiée.

    L’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages-intérêts ne s’applique pas aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’article 23. En effet, l’État ne jouit pas d’une immunité à l’égard des politiques gouvernementales qui portent atteinte aux droits fondamentaux. Dans un tel contexte, la possibilité que soient accordés des dommages-intérêts ne risque pas de paralyser l’action gouvernementale et de nuire ainsi à son efficacité; au contraire, cette possibilité permet de faire en sorte que l’action gouvernementale demeure respectueuse des droits fondamentaux. En l’espèce, comme le gel du financement du transport scolaire est une politique gouvernementale, la Cour suprême rétablit l’ordonnance de la juge de première instance accordant des dommages-intérêts de 6 millions de dollars pour le financement inadéquat du transport scolaire.